Marcel Proust

La lecture est une amitié

De Marcel Proust émane cette image d’un dandy piquant d’humour, au doux regard désabusé. Aux côtés de l’Italien Dante, de l’Espagnol Cervantès, de l’Anglais Shakespeare, de l’Allemand Goethe et du Russe Tolstoï – pour ne citer qu’eux et sans devenir géographe –, le jeune homme de bonne famille, comète ayant traversé la Belle Époque en un demi-siècle, a rejoint le panthéon des auteurs européens supposés incarner la sensibilité et l’esprit de leur nation. Son héritage littéraire fascine donc jusqu’à l’étranger, surtout la plus jolie fille du campus américain censée tomber en pâmoison lorsqu’un étudiant boutonneux lui révèle doctement la pensée de Marcel : « Son œuvre la plus connue est sans conteste “À la recherche du temps perdu” et sa célèbre madeleine, une réflexion sur le temps qui passe. » Des scènes de films hollywoodiens en témoignent.

Ce passé qui nous préoccupe tant, ce rapport aux années qui s’effacent, qui marquent nos cœurs et nos corps, Proust nous invite à le vivre pleinement dans l’art et la littérature. Vaine serait cette idée de vouloir fixer un moment à jamais révolu, tous les selfies n’y suffiront pas. Seule la mémoire, soudainement exaltée par un son, une couleur, un arôme, permet de revivre intensément une scène ensommeillée. Ainsi de son lit d’asthmatique, Marcel survolait, la plume à la main, le pays des sentiments saisissants. Dégagé de l’idée contemporaine que « le temps, c’est de l’argent », contrairement à ses pairs aïeux, Dumas et Balzac, astreints à l’écriture stakhanoviste pour vivre et nourrir leurs personnages, le natif du quartier d’Auteuil a pu se consacrer tout entier au succès de son œuvre universelle. Fin observateur des mondanités parisiennes du début du XXe siècle, auxquelles il participait, il nous invite, dans les sept tomes de “La Recherche” à explorer, entre autres, la psychologie (la mémoire, la jalousie), la philosophie (le temps, la vérité) et la sociologie (le principe de l’imitation). Mais au-delà de ses réflexions, celui qui a révolutionné les codes du genre romanesque nous rappelle aussi et surtout que « la lecture est une amitié ». Et jamais du temps perdu, surtout en cette année du centenaire de sa mort.