Mythologie(s) n°51

Préhistoire, à l’origine de l’art et du récit

Rappelons des faits simples. L’homme préhistorique avec son gourdin sur l’épaule n’a pas exterminé des populations comme l’a fait l’homme du beau XXe siècle des totalitarismes. Lui et sa femme ne savaient ni lire ni écrire, tout comme nos aïeux paysans du XIXe aux riches traditions, mais ils savaient dessiner, graver et peindre avec talent, quand la plupart d’entre nous seraient bien incapables de représenter un joli bison coloré et proportionné sur une simple feuille de papier. Sous la voûte étoilée, dans les grottes ornées, ils devaient sans doute libérer leur imagination, transformant la parole en des récits, bien moins riches évidemment que nos échanges quotidiens sur le repas de midi, la journée de travail, les résultats du foot ou les soldes, expression même du genre humain en progrès constant à bac+5. Ces pragmatiques rêveurs nous étonnent d’autant plus que, risquant leur vie à la chasse pour survivre, ils occupaient également leur temps à créer du beau, certains diraient de l’inutile. Tels étaient nos ancêtres, peintres et poètes en peaux de bêtes, sans l’être pour autant. Il est vrai que la nature leur offrait gratuitement l’image et le son, sans faire écran au contact comme aujourd’hui nos machines à vision différée. L’explosion artistique du Paléolithique supérieur (ou final), entre -40 000 et -10 000 ans environ, témoin du génie préhistorique, nous étonne cependant.

L’art mobilier, qui concerne les peintures et les gravures d’objets du quotidien, comme l’armement, les outils, les parures, les plaquettes et les statuettes, entre autres, fut l’objet d’échanges sur des distances pouvant aller jusqu’à une centaine de kilomètres. Quant à savoir pourquoi des hommes ont soudainement décidé de décorer des parois, la question est ouverte. Parmi les nombreuses hypothèses proposées, l’anthropologue Jean-Loïc Le Quellec suppose qu’un grand mythe de création nourrissait l’ontologie des artistes paléolithiques, celui de l’émergence primordiale. Le musée de l’Homme dans une exposition « Arts et préhistoire », et ce numéro dans lequel s’expriment ses deux commissaires scientifiques ainsi que des préhistoriens passionnés par le sujet vous aideront peut-être à percer ce mystère, comme on perçait les bâtons, du moins à découvrir avec ébahissement les grands aurochs de Lascaux, les félins de Chauvet, la Vénus de Lespugue, les plaquettes de La Marche, merveilles parmi les icônes incontournables de l’histoire de l’art.

Bertrand Audouy, rédacteur en chef